Kalachakra pour la Paix dans le monde
Le Tantra nous montre que ce qui arrive au plan du monde extériorise ce que nous sommes et que le seul chemin de vie est un chemin de paix qui est le chemin du désarmement intérieur.
par
Sofia Stril-Rever
Le Mandala de Kalachakra rencontre du jeudi 4 octobre 2001, Cercle d’étude et de pratique de Kalachakra « Kalachakra pour la Paix dans le monde » La rencontre de ce soir se produit dans un contexte qui révèle à plusieurs titres l’actualité de Kalachakra. Tout d’abord parce que les événements récents sont dans la ligne des prophéties du Tantra et se situent dans une région du monde et à une époque désignées par le Tantra de Kalachakra. Mais sans doute n’est-ce pas là le plus important. L’essentiel est que Kalachakra nous donne un enseignement de paix à mettre en pratique dans la spirale de haine et de violence qui se développe actuellement. Le Tantra nous montre en effet que ce qui arrive au plan du monde extériorise ce que nous sommes et que le seul chemin de vie est un chemin de paix qui est le chemin du désarmement intérieur. La paix véritable n’est pas dans les déclarations d’intention et Sa Sainteté nous a fait remarquer souvent que les traités et les résolutions des instances internationales ne peuvent à eux seuls décréter la paix. Entre Etats, comme au plan des individus, la paix authentique est la paix qui descend dans le cœur de ceux qui sont capables d’ « être la paix », plus encore que de « faire la paix » ou d’« avoir la paix ». Un épisode de la vie du Bouddha est particulièrement significatif à ce sujet. Il s’agit de la rencontre avec Angulimala qui a donné son nom à l’Angulimalasutra. Angulimala, dont le nom signifie « collier de doigts », faisait partie d’une secte de dévots de Shiva qui commettaient des assassinats rituels. Il avait l’habitude de couper les doigts de ses victimes et de se les accrocher autour du cou. Lorsqu’il rencontre le Bouddha dans une forêt aux environs de la ville de Shravasti, Angulimala se jette à ses pieds et se prosterne devant lui. Cet homme de haine et de violence voit le visage de la paix et il en est transformé. Il est instantanément vidé de sa violence parce qu’il rencontre un être sans violence. Il est instantanément vidé de sa haine parce qu’il rencontre un être sans haine. L’histoire d’Angulimala nous montre que la violence et la haine sont possibles si l’agresseur et la victime portent tous deux un karma de violence et de haine. La rencontre de l’absence de haine, la rencontre de l’absence de violence ont le pouvoir de purifier toute haine et toute violence. Au contact du Bouddha, Angulimala devient la paix. Et il sera ensuite jusqu’à la fin de sa vie un être de paix, un moine, mettant au service de tous les êtres l’énergie qu’il avait autrefois mise au service de sa haine. Cette histoire nous montre en effet que l’énergie du coupeur de doigts ou de l’être saint est la même. Dans le cas du coupeur de doigts, elle nourrit la folie meurtrière d’un ego démesuré ; mais le coupeur de doigts a, lui aussi, le potentiel d’un bodhisattva. Il actualise ce potentiel lorsqu’il réussit à transformer son énergie, à la rediriger pour le bien de tous les êtres. Et l’histoire d’Angulimala se répète dans le temps avec des variantes. C’est par exemple, dans un passé récent, la rencontre d’un maître spirituel et d’un ancien légionnaire d’une cinquantaine d’années. Cet homme était venu voir Sogyal Rinpoche et lui avait dit : « Rinpoche, j’ai tué, j’ai violé, j’ai torturé. Que puis-je faire ? » Et Sogyal Rinpoche lui fit cette réponse : « La même énergie que tu as mise à faire le mal, à tuer, violer ou torturer, mets cette énergie à faire le bien. Fais le bien de toutes tes forces, à chaque instant de ta vie, jusqu’à la fin de ta vie. » Et le légionnaire fut rasséréné par cette de Rinpoche. Un tel défi se présente à chacun d’entre nous, sans que nous ayons un passé aussi lourd que ce légionnaire ou qu’Angulimala. Comment transformer notre énergie de manière à la positiver ? Certes, nous ne sommes pas des coupeurs de doigts, ni d’anciens légionnaires, mais la paresse spirituelle et les stratégies de l’ego ne sont-elles pas, elles aussi, criminelles ? Nous avons en nous le potentiel considérable d’un grand être, capable de choses remarquables. Nous sommes des bodhisattvas en puissance mais nous tuons le Bodhisattva en nous. Est-ce qu’en ce sens nous ne sommes pas des assassins, chaque fois que nous mettons à mort ce Bodhisattva en nous, dans chacune de nos pensées enténébrées par les poisons mentaux qui nous habitent ? Nous sommes d’autant plus responsables et redevables à la fois de nos actes et de nos pensées, que nous avons accumulé suffisamment de mérites pour recevoir de profonds enseignements. Comme lama Zopa Rinpoche l’a dit au centre Kalachakra lors de sa dernière visite, il y a urgence à agir. Et lorsque lama Zopa nous demande d’agir, il entend bien sûr que nous agissions comme des bodhisattvas. Que nous laissions enfin vivre le Bodhisattva en nous, au service de tous les êtres. Et la situation du monde aujourd’hui nous fait voir en effet l’urgence criante qu’il y a à travailler, à mettre tous nos efforts à devenir les bodhisattvas que nous sommes. C’est dans cet esprit que je vous propose d’ouvrir la rencontre de ce soir, avec respect et dévotion pour nos maîtres, avec gratitude pour Elisabeth, la directrice du centre Kalachakra, et toutes les personnes du centre qui ont rendu cette rencontre possible. Nous allons précisément voir comment le mandala de Kalachakra peut nous permettre de devenir un être de paix, de devenir le bodhisattva que nous sommes réellement. Si je devais résumer l’enseignement de Kalachakra, je dirais en quelques mots que Kalachakra c’est l’amour de Bouddha à l’état pur. Le mandala de Kalachakra est un mandala pour la Paix dans le monde parce qu’il représente l’amour à l’état pur, développé à partir de la compréhension de la vacuité, et qu’il contient l’amour de Bouddha « illimité et relié à tout ». « Mon enfant, approche-toi… » On entend souvent dire que le mandala de Kalachakra est compliqué. Il est en effet la résidence de sept cent vingt-deux déités. Et nous nous demandons comment retrouver la simplicité, comment retrouver l’un au sein de la multiplicité des aspects de l’Eveil que personnifient les déités. Il paraît inconcevable que les sept cent vingt-deux déités puissent être identique à la déité centrale, que ces sept cent vingt-deux déités puissent émaner d’elle et se résorber en elle. Inconcevable, oui, pour notre esprit ordinaire de non-Bouddha. Mais ici inconcevable est synonyme de simple. Kalachakra est simple parce qu’il est inconcevable. Et il faut entendre ce que cela signifie vraiment quand nous disons que Kalachakra est compliqué. Est-ce Kalachakra qui est compliqué ou est-ce notre esprit qui est un facteur de complication ? Ce qui est effectivement compliqué, n’est-ce pas le mode de fonctionnement dualiste de notre esprit qui divise, sépare, exclut, oppose ? Quand nous pensons que Kalachakra est compliqué, nous ne faisons qu’étaler l’ignorance au sens bouddhiste, une ignorance qui projette les artifices et les élaborations de ses propres contradictions. Une ignorance qui, faute d’avoir saisi la dimension de vacuité, ne comprend pas que nous sommes tous un ou que 722 déités égalent un. Au cours du rituel de l’initiation, le Dalaï-Lama s’adresse au disciple en lui disant avec affection : « Mon enfant, approche-toi » et à plusieurs points du rituel l’expression « Mon enfant » revient. L’enfant ne symbolise pas ici l’ignorance et l’immaturité, mais au contraire le stade de la maturité du fruit. Dans l’initiation de Kalachakra, l’enfant est le fruit de la bouddhéité car, avec l’initiation de Kalachakra, on renaît enfant des Bouddhas et « enfant des Bouddhas » signifie bodhisattva. Je voudrais donc m’efforcer de faire ressortir la simplicité du mandala de Kalachakra parce qu’on entre dans ce mandala comme un enfant, pour y recevoir les 7 initiations analogues aux événements de l’enfance qu’on présentera en détail lors de notre rencontre de novembre. La structure du mandala Nous voici donc devant le mandala de Kalachakra, ici représenté à deux dimensions. Il s’agit d’un mandala réalisé pour l’initiation de Kalachakra donnée à Rikon par le Dalaï-Lama. Mandala est un mot sanskrit qui signifie cercle. Littéralement, le mandala désigne l’écume qui monte à la surface de l’eau de cuisson du riz et qui a une forme circulaire. En tibétain, mandala qui se dit dkyil-‘khor signifie un centre et une circonférence, ou un contenu intérieur et une enceinte. En règle générale, les mandalas sont la base de transmission des initiations dans le bouddhisme tibétain et ce sont des supports de méditation visant à transformer nos perceptions ordinaires du monde. Par la méditation du mandala, nous accédons en effet à l’essence purifiée du monde des phénomènes qui n’est autre que la sagesse des Bouddhas. Comment est structurée la perception éveillée représentée dans le mandala de Kalachakra ? Deux figures géométriques, un cercle extérieur et un carré intérieur constituent la base archétypale du mandala. Le cercle correspond à la roue de protection émanée de la syllabe-germe hum au cœur de Kalachakra. A la périphérie, on observe un cercle flamboyant aux couleurs des cinq éléments qui sont conçus comme les sphères de fondation du monde, avec le jaune pour la terre, le blanc pour l’eau, le rouge pour le feu, le noir ou le bleu pour l’air et le vert pour l’espace. On appelle ce cercle extérieur « l’anneau de sagesse » parce que les flammes aux cinq couleurs symbolisent les cinq sagesses des cinq lignées de Bouddhas, correspondant aux éléments, aux consciences et aux sphères sensorielles dans leur état purifié. Après l’anneau de sagesse, le 2° cercle est constitué d’une rangée de vajras symbolisant une enceinte de protection sur fond vert, couleur de l’espace. Le 3° cercle de couleur noire représente l’air, le 4° de couleur rouge le feu, le 5° de couleur blanche l’eau et le cercle jaune est la terre. Entre les cercles de feu et d’air, les 10 roues, alternativement rouges aux directions cardinales, et blanches aux directions intermédiaires, symbolisent les cimetières où sont brûlées les passions. Entre les roues sont disposées des séries de 11 lettres, soit 88 en tout, qui représentent les corps célestes et les dieux mondains. L’ensemble de ces cercles, au nombre de 6, et de leurs symboles constituent une barrière de protection qu’il ne faut pas se représenter de manière externe comme une défense d’entrer ou un barrage de police, mais comme un processus interne. Les étapes successives de la visualisation transforment nos perceptions karmiques impures de sorte que les négativités sont éliminées. La protection s’entend ici comme le processus de purification que nous accomplissons intérieurement. Nous devenons les cinq sagesses flamboyantes de la périphérie, puis la chaîne de vajras sur l’espace de couleur verte, puis les cercles de l’air et du feu marqués de roues et de lettres, puis le cercle de l’eau rempli des monstres marins que sont les crocodiles de la naissance et de la mort évoqués dans le rituel de l’initiation et enfin le cercle de la terre, décoré d’une frise de svastikas de couleur verte. L’ensemble de ces sphères constituent la fondation sur laquelle est posé le palais où résident les déités. On remarque l’analogie avec la cosmologie puisque notre univers est aussi posé sur les sphères des éléments et porte en son centre le mont Meru. Or selon la tradition, le palais de Kalachakra est situé au sommet de la montagne cosmique, le mont Meru, qui s’élève au centre de l’univers. Le palais de Kalachakra Entouré de jardins d’offrandes et de fleurs, le carré posé sur la roue de protection symbolise la perfection de la sagesse. A l’intérieur de ce carré, on identifie immédiatement quatre quadrants différenciés par leurs couleurs qui correspondent aux directions cardinales et à des Bouddhas. Je précise que le mandala de Kalachakra, comme tout autre mandala, reconnaît des attributions spécifiques et des emplacements propres aux différentes déités. Le noir est associé à l’Est et au Bouddha Amoghasiddhi. Ensuite, en circumambulant vers la droite, on passe devant le quadrant rouge du Sud où trône le Bouddha Ratnasambhava, puis devant le quadrant jaune de l’Ouest du Bouddha Vairochana et on arrive enfin devant le quadrant blanc du Nord où trône le Bouddha Amitabha. Cette répartition des déités et leur couleur est particulière au Tantra de Kalachakra. Elle correspond aux quatre visages de la déité centrale, Kalachakra, dont le visage qui nous fait face est de couleur noire, correspondant à l’Est, avec le visage du Sud rouge, celui de l’Ouest jaune et celui du Nord blanc. Il est essentiel de bien saisir l’organisation du palais en quatre quadrants en fonction des quatre visages de Kalachakra. Au cours du rituel de l’initiation, le maître va nous demander en effet de nous visualiser devant chacun des visages de Kalachakra pour y recevoir les différentes initiations. Si l’on considère ensuite la partie carrée du mandala, on remarque l’emboîtement de plusieurs carrés correspondant aux cinq étages du palais. A l’intérieur du mandala, les cinq niveaux constituent cinq mandala. Il y a tout d’abord le mandala du corps, c’est le carré le plus grand, puis le mandala de la parole, de l’esprit, de la conscience primordiale et de la félicité. On reconnaît les 3 premiers mandalas du corps, de la parole et de l’esprit aux quatre portes d’accès. Il y a deux terrasses blanches dans chacun des trois mandalas. Sur la terrasse blanche extérieure se tiennent les déités des offrandes, représentées par des lettres ou des symboles auspicieux. Sur la terrasse intérieure, les déités sont représentées par des lotus rouges aux directions cardinales, blancs aux directions intermédiaires. Les deux mandalas de la conscience primordiale et de la félicité sont contenus dans le mandala de l’esprit. Je vous propose d’entrer dans le palais de Kalachakra par la porte Est, comme nous le faisons lors du rituel de l’initiation. La porte Est est gardée par un protecteur courroucé, Niladanda « Bâton noir » debout sur un char tiré par un attelage de sept sangliers noirs. Niladanda est uni à une déesse courroucée, Marichi, « Lumière rayonnante », de couleur jaune. Les déités pères-mères représentent systématiquement des polarités opposées qu’on identifie à leur couleur. Niladanda noir et Marichi jaune symbolise l’unification des quadrants opposés, jaune et noir. On retrouve ce principe dans tous les couples de déités du mandala. On accède à la plate forme d’entrée du mandala par un escalier, en passant sous un portique à trois étages soutenus par quatre piliers. Entre les piliers se tiennent des déesses des offrandes et au centre une roue du Dharma de couleur noire est entourée d’un daim et d’une biche. De part et d’autre du portique, au niveau du mandala du corps se trouve un éléphant surmonté d’un lion. Dans ce contexte tout est symbolique, tout nous rappelle l’enseignement, que ce soient les nombres, par exemple les 3 étages pour les 3 joyaux, les 4 piliers pour les 4 nobles vérités ou les 4 incommensurables, les 7 sangliers pour les 7 successeurs du Bouddha, les 7 points de l’entraînement de l’esprit. Les animaux comme la biche et le daim rappellent la 1° mise en mouvement de la roue de la Loi au parc aux Gazelles, l’éléphant symbolise les transmigrations et le lion qui l’écrase la victoire sur le cycle des existences. On a dans le mandala un livre ouvert du Dharma mis en images. Revenons au premier niveau du mandala du corps, entouré de cinq murs d’enceinte de verre coloré qui sont successivement jaune, blanc, rouge, noir et vert. Les murs sont richement décorés de frises, de lettres de l’alphabet sanskrit, de joyaux, de vajras, de bannières de victoire, de demi-lunes et de lotus. Cette profusion de l’ornementation indique en fait l’aspect prolifique du principe d’Eveil déployé dans le monde des apparences. Les pierres précieuses ne signifient pas l’abondance de la richesse mais le rayonnement des éléments matériels du monde transformés en éclats de la sagesse des Bouddhas. Les colliers de perles et les demi-lune symbolisent le rayonnement de bodhicitta, l’esprit d’Eveil et le mandala est un espace de lumière qui correspond à la perception purifiée de la sagesse des Bouddhas. Sur la première terrasse blanche du mandala du corps, 36 lettres sanskrites symbolisent les déesses des offrandes. Puis une 2° terrasse blanche est délimitée par un trait de couleur sombre. Sur cette terrasse, se trouvent les déités du mandala du corps. Elles sont au nombre de 360 et sont réparties par 12 groupes de 30, indiqués par 12 lotus alternativement rouges et blancs, posés sur le dos de douze animaux ou élémentaux. Le mandala du corps correspond aux jours de l’année répartis en 12 mois de 30 jours, ce sont les jours externes du monde, déterminés par les révolutions de la terre, de la lune et du soleil. Mais il existe aussi les jours internes que le Tantra définit en fonction des rythmes respiratoires, notre lune et notre soleil interne correspondant à la bodhicitta père blanche et à la bodhicitta mère rouge, représentées par les couleurs des lotus des mois. Dans la partition duelle des énergies qu’effectue le Tantra, il y a en effet les mois solaires féminins qui correspondent aux signes astrologiques du Bélier, Gémeaux, Lion, Balance, Sagittaire et Verseau. Et les mois lunaires masculins, Taureau, Cancer, Vierge, Scorpion, Capricorne et Poisson. On monte ensuite au 2° étage pour accéder au mandala de la Parole, également entouré de cinq enceintes de verre coloré, construit sur le même modèle que le mandala du corps avec deux terrasses blanches. Sur la première, 36 lettres sanskrites symbolisent les déesses des offrandes. Sur la seconde, aux directions cardinales, 4 lotus rouges à 8 pétales et 4 lotus blancs à 8 pétales sont placés sur le dos d’êtres vivants. Sur chacun de ces lotus se tient au centre une déesse en union entourée de 8 yoginis de la Parole, debout dans l’attitude de la danse, sur chaque pétale. Il y a en tout 80 déités du cercle de la Parole. A l’étage supérieur, nous entrons dans le mandala de l’esprit, entouré de trois murs d’enceinte, noir, rouge et blanc. Sur la 1° terrasse blanche, se tiennent 12 déesses des offrandes, sur la 2°, 12 couples de Bodhisattvas figurés par des lotus blancs et rouges. Ces Bodhisattvas masculins et féminins symbolisent les consciences et les sphères sensorielles dont ils portent les noms. A l’intérieur du mandala de l’esprit, se trouve un carré central qui est celui du mandala de Conscience primordiale où siègent 8 couples de Tathagatas symbolisés par des lotus blancs et rouges et séparés par des vases d’ambroisie – contenant les substances sublimées du corps samsarique, urine, fèces, moelle, sang et sperme. Et à l’intérieur du carré de Conscience primordiale, on accède au cœur du mandala de Kalachakra, un lotus vert, couleur de l’espace, à 8 pétales représentant les 8 shaktis. Elles entourent le cercle suprême, le mandala de la Félicité où se tiennent Kalachakra et Vishvamata en union. Kalachakra est symbolisé par un vajra de couleur bleue et Vishvamata, par un point de couleur safran. Nous sommes ici parvenus au pinacle, le sommet du mandala, la résidence dite « incomparable », « inconcevable » dans les textes. La lune et le soleil à l’intérieur de nous : relier l’expérience interne et l’expérience externe Je ne suis pas sûre que ce parcours du mandala de Kalachakra vous ait convaincus de sa simplicité. J’espère avoir au moins fait ressortir le caractère systématique de son organisation. Je vous propose que nous reprenions le chemin dans l’autre sens, en allant cette fois du cœur à la périphérie, ou du sommet vers la base. Kalachakra et Vishvamata en union sont au centre. Entourés de 8 shaktis, ils forment le mandala de Félicité à partir duquel est émané tout le reste du mandala. D’abord le mandala de Conscience primordiale où trônent les 6 Tathagatas pères-mères, puis le mandala de l’esprit, résidence des 24 Bodhisattvas masculins et féminins, le mandala de la parole où se tiennent 80 déités et le mandala du corps à 360 déités. Une fois qu’on a compris le principe des 5 mandalas, on saisit la répartition des différents carrés, qui sont proportionnellement dans un rapport de 1 pour 2. Le mandala du corps est 2 fois plus grand que le mandala de la parole, lui-même deux fois plus grand que le mandala de l’esprit. L’édifice de forme carrée est posé sur les sphères des éléments, qui sont circulaires à l’image de l’existence cyclique. Le 1° disque jaune avec une frise verte est celui de la terre, le 2° blanc, celui de l’eau, le 3° rouge, celui du feu, le 4° noir, celui de l’air, le 5° vert, celui de l’espace et enfin l’anneau de sagesse arc-en-ciel aux cinq couleurs fait rayonner à la périphérie la sagesse des Bouddhas qui est aussi contenue au centre. Dans un 1° temps, il est bon d’intégrer la structure générale du mandala. On s’y familiarise progressivement à partir d’une image, sans entrer forcément dans le détail de chaque déité parée de tous ses attributs. Mais on s’imprègne de l’archétype et de son symbolisme qui contiennent tout l’enseignement. On peut trouver difficile de penser à partir d’images, de couleurs, d’un graphisme. Parce qu’on a été habitué à raisonner sur des textes et une exposé discursif de la pensée. Mais quand l’image devient support de pensée, on a le sentiment à la fois de délasser l’esprit et de le nourrir. On le délasse en relâchant la tension des élaborations conceptuelles de l’argumentation philosophique. On le nourrit parce qu’au fur et à mesure, on réalise à quel point les symboles sont vrais et comment ils enrichissent la perception de ce que nous vivons. Dans l’autre sens, nous enrichissons notre visualisation du mandala de tout notre vécu, à la fois corporel, sensible et spirituel. Cela est possible parce que tout ce qui est représenté dans le mandala a sa source en nous, au plan tant physiologique que psychique et spirituel. En fait ce qui nous est difficile est d’habituer notre esprit à penser en termes d’énergie parce que nous sommes habitués à verbaliser notre expérience de nous-mêmes et du monde. Prenons l’exemple de l’anneau de sagesse, le cercle de la périphérie. Il n’est pas évident d’identifier en soi-même les 5 couleurs des 5 éléments. Il est nécessaire d’avoir travaillé sur soi-même et ses propres perceptions pour associer la couleur blanche à l’élément eau, au chakra du front, au corps d’Emanation des Bouddhas, au Bouddha Amitabha qui a cette couleur dans le mandala de Kalachakra, ou encore à la bodhicitta blanche père d’essence lunaire. De même, nous n’avons pas appris à associer la couleur rouge à l’élément feu, au chakra de la gorge, au corps de Jouissance des Bouddhas, au Bouddha Ratnasambhava dans le mandala de Kalachakra, ou encore à la bodhicitta mère rouge d’essence solaire. Nous avons appris à voir la lune et le soleil à l’extérieur de nous, nous les observons dans le ciel, mais avons-nous jamais cherché à les discerner en nous-mêmes, comme notre lune et notre soleil internes ? « Nous ne verrions pas la lune et le soleil à l’extérieur de nous, si nous ne les avions en nous », me disait un jour un lama. Cette réflexion suppose d’avoir déjà fait tout un chemin d’introspection profonde, à l’écoute des énergies et de leur mode de manifestation. Il ne s’agit pas là d’un fonctionnement ordinaire de la conscience et notre culture ne nous y encourage certainement pas. Toute la difficulté est de relier l’expérience interne et externe. Si l’on devient capable de lever cette difficulté, le mandala nous apparaîtra vraiment dans toute sa simplicité. Et il faut d’abord croire que cela est possible, avoir confiance en la simplicité du mandala en comprenant que notre esprit est inutilement compliqué parce que nous l’utilisons mal, faute d’avoir appris à l’utiliser à bon escient et faute surtout d’avoir cultivé la compréhension de la vacuité. L’Amour de Bouddha, fondé sur la réalisation de la vacuité Je ne suis pas en train de faire là de l’anti-intellectualisme primaire et je vous propose de revenir à l’enseignement. Dans la phase de l’initiation, alors que nous ne sommes pas entrés encore dans le mandala qui est symboliquement caché par un rideau puis par le bandeau rouge que nous portons sur les yeux, que nous demande le maître ? Il nous exhorte à engendrer l’esprit d’Eveil qui embrasse tous les êtres dans la pratique qu’on appelle le sarvayoga, littéralement le yoga universel. Dans cette pratique, nous nous efforçons d’engendrer une aspiration assez grande pour délivrer tous les êtres de la souffrance et de ses causes. Et nous prenons le vœu de bodhisattva en récitant ce verset : « Je libérerai ceux qui ne sont pas libérés de l’obscurcissement à l’omniscience. Je délivrerai ceux qui ne sont pas délivrés de l’existence cyclique. Je soulagerai ceux qui ne sont pas soulagés dans les mauvaises transmigrations. J’établirai tous les êtres sensibles en nirvana. » Commentant la prise de vœux, Sa Sainteté cite ces vers de Shantideva : « Si l’on n’est pas prêt à échanger son propre bonheur contre la souffrance des autres, on n’atteindra pas l’état de Bouddha et on ne connaîtra pas le bonheur, même dans l’existence cyclique. » Puis nous visualisons cette aspiration altruiste sous forme d’un disque de lune à notre cœur tandis que le Dalaï-Lama nous fait ces recommandations : « Cette attitude bienveillante, développée au point que nous sommes animés de la résolution puissante et active de vouloir secourir tous les êtres sensibles, se transforme en un disque de lune au niveau du cœur. Sans un tel sentiment, il ne sert à rien de visualiser un disque de lune. Il est donc important de faire naître un sentiment déterminé, qui se transformera ensuite en un disque de lune. » Vouloir sauver tous les êtres est le vœu d’un bodhisattva et la réalisation d’un Bouddha. L’Eveil devient possible dans cette solidarité foncière qui ne discrimine plus entre soi et autrui, parce que la dimension de la vacuité a été parfaitement développée dans la sagesse suprême. La vacuité n’est pas le néant, la vacuité est le lien universel, l’amour de Bouddha qu’on dit « illimité et relié à tout ». Et si le Tantra de Kalachakra est considéré comme suprême dans le bouddhisme tibétain, la raison en est qu’il a développé une compréhension particulièrement profonde de la vacuité. Dans les préliminaires de l’initiation, le maître nous demande de concevoir l’absence d’existence inhérente de soi et des phénomènes et de visualiser la compréhension que nous en avons sous forme d’un vajra posé à notre cœur sur le disque de lune. Je cite sur ce point l’enseignement du Dalaï-Lama : « Efforcez-vous de comprendre que tous les phénomènes ne possèdent pas l’existence inhérente. Cette pensée se transforme en un vajra. » Et dans le rituel de l’initiation de Kalachakra, il est dit : « Au plan ultime de l’esprit d’Eveil, la vacuité d’existence inhérente de tous les phénomènes et de votre esprit a la même saveur. Elle se transforme en l’aspect d’un vajra à cinq pointes posé sur la lune. » Cette même saveur des phénomènes et de notre esprit est en fait la saveur de l’Eveil. Et dans le rituel de Kalachakra on dit : « L’existence cyclique est naturellement pure. En réalisant cela, on se détache de l’existence cyclique. Si l’on possède un esprit qui connaît la pureté naturelle, L’existence sera rendue excellente. » Puis, dans le processus de l’initiation, du vajra à notre cœur, la lettre hum est émanée et de ce hum est émané le cercle de protection du mandala. Le mandala que nous voyons dans toute sa diversité est donc une figure qui naît originellement de la promesse de délivrer tous les êtres, du yoga, c’est à dire de l’union, avec tous les êtres. Le mandala de Kalachakra est donc l’expression de la compassion dans la compréhension de la vacuité, sur la voie de l’Eveil des Bouddhas. Le mandala de Kalachakra est une figure de l’amour à l’état pur parce qu’il intègre la dimension de vacuité. L’amour de Bouddha est « illimité et relié à tout » parce qu’il est la réalisation de la vacuité tournée vers autrui, la vacuité réalisée, incarnée ou l’énergie de vacuité active. Le mandala de Kalachakra, mandala de notre transformation Aujourd’hui nous sommes des êtres ordinaires et nous pensons que nous voyons qui nous sommes vraiment en nous regardant dans la glace. Nous avons appris à reconnaître notre image corporelle et à la cultiver, l’embellir, la transformer selon certains critères socio-culturels donnés. Une fois engendrés l’esprit d’Eveil et la compréhension de la vacuité, l’image du corps ordinaire tend à perdre ce caractère obsédant du réalisme ambiant qui nous fait croire en la réalité du corps samsarique, sa solidité, son identité, sa beauté, sa laideur, toutes ces qualités dont nous le parons. Ce n’est pas une vaine parole de dire que nous renaissons au cours de l’initiation, que nous sommes devenus « les enfants des Bouddhas ». C’est que d’abord nous nous sommes comme décollés de ce corps samsarique, objet de tant de soins, de soucis relatifs à son apparence et son confort. Le corps samsarique est toujours là, mais secondaire, comme passé à l’arrière-plan, car c’est désormais l’enfant des Bouddhas, le bodhisattva, qui s’éveille. Quand nous nous visualisons sous forme de Kalachakra dans son mandala, nous n’habitons plus de la même façon notre corps samsarique. Nous avons cessé d’être l’apparence ordinaire de nous-mêmes reflétée dans le miroir. Et ce décalage, plus ou moins sensible au départ, s’accentue par la pratique jusqu’à ce que nous devenions un jour capables de développer la sensibilité qui nous donnera la perception de notre corps subtil, de sa structure de veines, de lotus et de souffles subtils. A ce stade, le mandala et nous-mêmes ne sommes plus séparés car, selon l’enseignement, le nombre de déités principales dans le mandala s’explique en corrélation avec le nombre de pétales de lotus du corps subtil. La veine centrale forme quatre pétales au lotus du diadème, seize au front, trente-deux à la gorge, huit au cœur, soixante-quatre au nombril et trente-deux à l’organe secret, ce qui fait un total de 156*. Ces 156 déités correspondent aux déités principales des mandalas de la Parole et de l’Esprit. Sur cette base, le pratiquant suffisamment avancé dans la pratique des yogas internes peut créer un mandala visualisé en méditation qui prend pour support les éléments du corps subtil. Ainsi réalisé, le mandala est l’image de la transformation de notre corps samsarique sublimé, ou « exalté », pour reprendre l’expression de « mandala du corps, de la parole et de l’esprit exaltés » que l’on emploie lors du rituel de l’initiation. Tel est le but de la pratique du mandala, voilà pourquoi nous recevons les initiations à l’intérieur d’un mandala. Pour finir je dirai qu’on peut regarder le mandala de Kalachakra comme un programme du grand travail qu’il nous reste à accomplir, le travail de la transformation du non-Bouddha que nous sommes. C’est un immense chantier et les initiations représentent le moyen indispensable de cette transformation. Initiation se dit en tibétain wang, ou « transmission de pouvoir ». Ce pouvoir n’est pas n’importe quel pouvoir, c’est un pouvoir de transformation, la transformation de non-Bouddha en Bouddha. Voilà un beau travail qui mérite tous nos efforts ! Ces 156 déités correspondent aux déités des mandalas de la Parole et de l’Esprit : · 80 déités et 10 Courroucés du mandala de la Parole
|